Le citron, un fruit clairement acide… le jus de citron alcalinise-t-il vraiment ?
On entend souvent dire que boire du jus de citron le matin « jus de citron alcalinise » le corps. L’idée séduit, intrigue et circule abondamment dans les milieux bien-être et nutrition. Mais est-ce une vérité scientifique ou un mythe persistant ?
Le citron est acide au goût, mais paradoxalement classé comme « alcalinisant ». Pourquoi ? Parce qu’il contient non seulement de l’acide citrique, mais aussi des minéraux dits alcalins (potassium, calcium, magnésium). Une fois digérés, ces minéraux laissent des résidus basiques. C’est vrai… mais le citron n’est pas le seul : une pomme, une carotte ou des épinards produisent exactement le même effet, parfois même beaucoup plus marqué. Autrement dit, affirmer que le jus de citron alcalinise de manière unique est un raccourci.
En réalité, aucun aliment naturel n’est totalement acidifiant ou totalement alcalinisant. Même un fromage ou une tranche de viande, très acidifiants, contiennent eux aussi une petite part de minéraux basiques. Seuls certains produits ultra-transformés (sodas au cola, charcuteries industrielles) tirent franchement la balance du côté acide.
PRAL : l’indice qui mesure l’effet des aliments — le jus de citron alcalinise ?
Pour dépasser les impressions, les chercheurs ont créé un indicateur : le PRAL (Potential Renal Acid Load, charge acide rénale potentielle). Il estime si, une fois métabolisé, un aliment produit au final davantage de résidus acides (PRAL positif) ou basiques (PRAL négatif). Les légumes, fruits et pommes de terre sont généralement à PRAL négatif, tandis que viandes, fromages et sodas affichent un PRAL positif. Certains aliments, enfin, se situent près de zéro et sont considérés comme neutres.
Le jus de citron présente un PRAL légèrement négatif (autour de – 2). Rien de spectaculaire : une pomme ou une pomme de terre donnent un résultat similaire, et les épinards descendent bien plus bas (environ – 14). Dire que le jus de citron alcalinise mieux que les autres végétaux n’est donc pas exact.
Que devient l’acide citrique du citron ? (foie, cycle de Krebs, ATP)
Lorsqu’on lit que le jus de citron alcalinise, on oublie souvent le chemin réel de l’acide citrique dans l’organisme. Ce dernier ne « reste » pas acide : il est rapidement intégré au métabolisme énergétique et oxydé en CO2 et H2O, tout en contribuant à la production d’ATP.
1) Estomac : un milieu déjà très acide
Dans l’estomac, l’acide citrique du citron s’ajoute à un environnement fortement acide (acide chlorhydrique, pH ~1–2). À ce stade, il n’y a pas d’effet « alcalinisant » ni de modification du pH sanguin : on est encore dans la digestion.
2) Intestin grêle : neutralisation et absorption du citrate
Au duodénum, les sécrétions pancréatiques riches en bicarbonates neutralisent l’acidité du chyme. L’acide citrique passe alors sous forme de citrate, qui est absorbé par la muqueuse intestinale et rejoint la circulation sanguine.
3) Foie et mitochondries : entrée dans le cycle de Krebs
Le citrate pénètre dans les cellules (foie, muscle…) et dans les mitochondries, où il s’insère directement dans le cycle de Krebs (aussi appelé cycle de l’acide citrique). À travers les étapes citrate → isocitrate → α-cétoglutarate → succinyl-CoA → succinate → fumarate → malate → oxaloacétate, ses carbones sont progressivement oxydés en CO2. Les coenzymes réduites (NADH, FADH2) alimentent ensuite la chaîne respiratoire, permettant la synthèse d’ATP (énergie cellulaire).
4) Bilan acido-basique : de l’acide organique à un « équivalent base »
La combustion complète des anions organiques (comme le citrate), surtout lorsqu’ils sont accompagnés de cations tels que le potassium, se traduit par la génération nette d’« équivalents bicarbonate ». C’est une des raisons pour lesquelles les fruits et légumes (dont le citron) ont un PRAL négatif. Autrement dit, si l’on dit que le jus de citron alcalinise, c’est uniquement au sens de la charge rénale potentielle (PRAL) — pas au sens d’un changement direct du pH sanguin, qui reste stable.
5) Voie cytosolique : citrate et synthèse lipidique
Quand l’énergie et le glucose abondent, une partie du citrate mitochondrial peut sortir vers le cytosol. L’enzyme ATP-citrate lyase le clive en acétyl-CoA (précurseur des acides gras et du cholestérol) et en oxaloacétate. Ce point rappelle que le métabolisme du citrate dépend du contexte énergétique global de l’organisme.
6) Citrate et reins : un effet anti-calculs utile
Le citrate urinaire se lie au calcium et diminue la cristallisation d’oxalate de calcium : il a donc un effet protecteur contre certains calculs rénaux. Chez des personnes sujettes aux lithiases, augmenter légèrement l’apport en citrate alimentaire (dont le citron) peut élever la citraturie. Cela ne veut pas dire que le jus de citron alcalinise le sang ; cela signifie qu’il peut soutenir un milieu urinaire moins propice aux calculs.
7) En résumé métabolique
De l’estomac à l’intestin, puis au foie et aux mitochondries, l’acide citrique est neutralisé, absorbé, métabolisé via le cycle de Krebs et converti en CO2 et H2O avec production d’ATP. Le « pouvoir alcalinisant » du citron renvoie en réalité à son PRAL négatif (charge rénale) et non à un quelconque changement du pH sanguin. Le bénéfice est surtout alimentaire (végétaux riches en minéraux) et parfois urinaire (citraturie accrue), pas « magique ».
Exemple concret : le sel marin (NaCl) et l’illusion « le jus de citron alcalinise »
Le sel marin illustre la logique acido-basique : le sodium est un minéral alcalin, le chlore un anion acide. L’un compense l’autre, si bien que le sel pur a un PRAL neutre. Le sel marin est le seul aliment qui apporte simultanément du Chlore et du Sodium accompagnés de Calcium, Potassium, Magnésium. Ces quatre métaux basiques sont essentiels au PH très précis du sang, de la lymphe. Ils sont garants du bon fonctionnement de la digestion, du système nerveux, jusqu’au plus profond des cellules.
Le goût ne dit donc pas tout sur l’équilibre acido-basique réel… pas plus que l’énoncé « le jus de citron alcalinise » ne résume la complexité du métabolisme.
Le rôle clé des reins — que se passe-t-il quand « le jus de citron alcalinise » est invoqué ?
Si le PRAL s’appelle « charge acide rénale potentielle », ce n’est pas un hasard. Les reins sont en première ligne pour maintenir l’équilibre acide-base. Une alimentation riche en produits acidifiants génère des résidus (sulfates, phosphates, acide urique) que les reins doivent éliminer. À l’inverse, une alimentation abondante en minéraux alcalins allège ce travail. C’est là que l’on comprend pourquoi l’affirmation « jus de citron alcalinise » ne suffit pas : c’est l’ensemble de l’assiette qui compte.
Certains naturopathes proposent de mesurer le pH urinaire avec des bandelettes (notamment le matin). Il faut savoir que ce pH varie beaucoup selon l’alimentation, l’hydratation et l’activité physique : il reflète surtout l’adaptation des reins, et non un « état global » du corps. D’où l’intérêt de l’indice PRAL, fondé sur la composition réelle des aliments.
Le pH sanguin : une stabilité inébranlable
Un point essentiel : le pH du sang ne bouge pas. Il reste verrouillé entre 7,35 et 7,45. Sortir de cette plage, même légèrement, est déjà une urgence médicale. Cette stabilité est assurée par des mécanismes puissants : le couple bicarbonate/acide carbonique, la respiration (élimination du CO2) et l’action plus lente mais fondamentale des reins (excrétion des acides excédentaires et régénération des bicarbonates). Aucun aliment, ni le citron ni les sodas, ne peut perturber directement cet équilibre.
Acidose médicale ou charge acide alimentaire ?
La confusion vient souvent d’ici. L’acidose métabolique est une pathologie grave (insuffisance rénale, diabète mal contrôlé, intoxications) où le pH sanguin chute réellement. La charge acide alimentaire, elle, ne modifie pas le pH du sang : elle décrit simplement le travail supplémentaire demandé aux reins. Dire que « le corps devient acide » relève donc davantage d’une image que d’une réalité biologique.
Le mythe du citron miracle — pourquoi dit-on que le jus de citron alcalinise ?
Pourquoi le citron a-t-il pris une telle place ? Parce qu’il incarne un paradoxe facile à retenir : acide au goût, mais présenté comme alcalinisant. Parce qu’il est riche en vitamine C (héritage de son usage contre le scorbut). Et parce qu’il est associé à des rituels modernes comme l’eau chaude citronnée du matin. Symbole pratique… mais pas plus alcalinisant qu’un brocoli, qui fait bien mieux au regard du PRAL.
Et les boissons dans tout ça ? Le jus de citron alcalinise moins qu’on ne le croit
Côté boissons, toutes ne se valent pas. Les sodas au cola figurent parmi les plus acidifiants, mêlant sucres, acide phosphorique et additifs. Le café et le thé noir sont légèrement acidifiants, mais leurs antioxydants leur confèrent aussi des effets intéressants. Le thé vert est quasiment neutre et protecteur grâce à ses polyphénols. Quant aux eaux minérales riches en bicarbonates, elles sont les seules à avoir un effet alcalinisant clairement mesurable sur les urines. L’eau citronnée, elle, reste surtout une habitude d’hydratation agréable… et un petit coup de vitamine C.
Santé osseuse et musculaire : l’enjeu caché
Une alimentation trop acidifiante ne fait pas « baisser le pH du sang », mais ses effets indirects existent à long terme. Pour neutraliser un excès d’acides, l’organisme peut mobiliser du calcium osseux, ce qui fragilise les os et augmente le risque d’ostéoporose. La charge acide chronique peut également accélérer la perte de masse musculaire (sarcopénie) et favoriser la formation de calculs rénaux. Ce sont ces conséquences, et non la phrase « le jus de citron alcalinise », qui méritent notre attention.
Ce qui compte vraiment dans l’assiette
Au fond, tout est une question d’équilibre. Une alimentation riche en végétaux (fruits, légumes, légumineuses, tubercules) compense naturellement la charge acide des protéines animales ou des céréales. L’idéal est de tendre vers une assiette où les deux tiers sont constitués de végétaux et un tiers de produits animaux ou céréaliers. Les végétaux ne se limitent pas à leur effet alcalinisant : ils apportent aussi fibres, antioxydants, vitamines et minéraux qui soutiennent le microbiote, réduisent l’inflammation et protègent nos cellules.
Conclusion : « le jus de citron alcalinise » — mythe ou réalité ?
Le jus de citron n’« alcalinise » pas le corps au sens strict. Le sang garde son pH stable grâce à des mécanismes de régulation très puissants. Le citron, comme la plupart des fruits, est légèrement alcalinisant, mais pas plus qu’une pomme. Les vrais champions restent les légumes verts. Boire un verre d’eau citronnée le matin est une bonne habitude santé — agréable, hydratante et vitaminée —, mais ce n’est pas une potion magique. En résumé : ce n’est pas un aliment isolé, mais l’ensemble de l’assiette qui fait la différence.
FAQ — « le jus de citron alcalinise » : questions fréquentes
Le jus de citron alcalinise-t-il vraiment le corps ?
Au sens strict, non. Le pH sanguin reste stable (≈ 7,35–7,45) grâce aux systèmes tampons, aux poumons et aux reins. Dire que le « jus de citron alcalinise » signifie surtout qu’il a un PRAL négatif (il ne crée pas de charge acide nette), comme la majorité des fruits et légumes.
Que dit le PRAL du jus de citron ?
Le PRAL du citron est légèrement négatif (≈ –2 mEq/100 g) : il est donc alcalinisant au sens de la charge rénale potentielle. Mais il n’a rien d’exceptionnel : une pomme ou une pomme de terre sont comparables, et des légumes verts comme les épinards le sont bien davantage.
Le pH sanguin change-t-il si je bois du jus de citron ?
Non. Le pH du sang est étroitement régulé et ne varie pas avec un aliment isolé. Boire du citron ne « rend » pas le sang alcalin. En revanche, une alimentation riche en végétaux diminue la charge acide à traiter par les reins.
Dois-je mesurer mon pH urinaire le matin ?
Le pH des urines varie selon l’alimentation, l’hydratation et l’activité. Il reflète surtout l’adaptation des reins, pas un « état global ». Pour évaluer l’alimentation, l’indice PRAL est plus pertinent que des bandelettes isolées.
Le citron aide-t-il contre les calculs rénaux ?
Le citrate augmente la citraturie et peut limiter la cristallisation de l’oxalate de calcium, ce qui est utile chez certains sujets à risque. Cela ne signifie pas que le « jus de citron alcalinise » le sang : l’effet est surtout urinaire et contextuel.
Références, articles et revues scientifiques
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Zuckerman JM et al. Hypocitraturia: Pathophysiology and Medical Management. Rev Urol. 2009.
Vulgarisation / ressources grand public fiables
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MSD Manuals (professionnel). Acid-Base Disorders. (Régulation par bicarbonate / CO₂ / reins)
Testing.com. Acidosis & Alkalosis. (Explications simples sur le pH et ses variations)